2001
Comment passer de John Cage à la musique d’ascenseur ? Réponse avec la rétrospective de Max Neuhaus, pionnier de l’installation sonore.
A 14 ans, il voulait être le meilleur batteur du monde. A 24 ans, c’est presque chose faite : le percussionniste Max Neuhaus accompagne alors Boulez ou Stockhausen dans leurs tournées américaines, joue avec John Cage et Varese au Judson Hall, donne des récitals en Europe et au Carnegie Hall de New York, enregistre même un album solo d’ uvres de percussions contemporaines chez Columbia Masterworks. A 28 ans, en 1968, fin du premier épisode : il décide de ne plus jamais se produire sur scène. « J’ai voulu aller plus loin. Pourquoi limiter l’écoute à une salle de concert ? Pourquoi ne pas simplement emmener l’auditoire à l’extérieur ? »
Poussant à bout les leçons de John Cage qui faisait entrer dans les salles de concerts les sons ordinaires, distordus et accidentels de la rue, Max Neuhaus commence dès 1966 par organiser des marches sonores dans Manhattan. Certains soirs de concerts, il invite les auditeurs à l’extérieur de la salle, leur tamponne le mot « listen » sur la main et les entraîne, l’oreille tendue, dans une traversée sonore de la ville : là, le grondement lourd d’une centrale électrique, là les rythmes variés des voitures roulant sur les grilles du pont de Brooklyn. Le « morceau de musique » s’achevant parfois sur un set de percussions dans l’atelier de l’artiste.
Autrement dit, Max Neuhaus s’est éloigné de la sphère musicale, trop restreinte à son goût, pour s’aventurer librement dans l’espace élargi du son. Pionnier de l’installation sonore, il propose dès 1971, avec un système de tuyaux, des uvres audibles sous l’eau, dans des piscines chauffées à la température du corps, et qu’on écoute en faisant la planche. En janvier 1977, il organise Radio Net : une émission qui traverse les Etats-Unis et qui mixe en direct des milliers de conversations téléphoniques. Dans les années 80, il fait même breveter un système pour les sirènes de véhicules d’intervention : des sons localisables dans la ville, variant selon la vitesse et la distance de l’ambulance ou du fourgon policier, afin que chacun, flic ou voyou, puisse réagir à sa façon. Dans ses tiroirs, bien des projets sont restés à l’état de dessin, tel ce Paris Métro conçu en 1974 : une création sonore dans un couloir de correspondance de la station Montparnasse, se jouant du passage des usagers, des courants d’air et du mécanisme sourd du tapis roulant. Un art in situ, qui utilise l’environnement social et auditif pour redonner à chacun une perception nouvelle du lieu. Tout le contraire des assommantes musiques d’ascenseur ou de supermarché. Chez Neuhaus, c’est l’ascenseur qui fait sa propre musique : easy-listening.
Au château de La Napoule, Max Neuhaus ne se contente pas d’aligner une série de dessins rétrospectifs faits au crayon de couleur, composés de stries proches de la portée musicale, comme une façon visuelle de figurer et d’encoder son propre travail sonore autrement que dans une partition. Dans les jardins, il a aussi offert une précieuse installation sonore, invisible à l’œil nu. A peine aperçoit-on au sol deux grilles latérales dans lesquelles l’artiste diffuse un son préalablement composé sur ordinateur. D’abord, on n’entend rien, on traverse l’allée centrale, et d’un coup on entre dans une zone où l’air est plus dense et vibre sourdement. Le son s’amplifie, nous encercle, on continue d’avancer, et soudain, d’un pas à l’autre, le silence revient, plus pur qu’auparavant. Un pas en arrière et on retourne dans la zone de son. Un pas de côté et on retombe dans le silence. C’est un mystère à n’y rien comprendre. Un mirage auditif. Un pur espace sonore, aussi dur qu’un bloc de glace, et pourtant immatériel. Une expérience de science-fiction : avec Max Neuhaus, la quatrième dimension a désormais une bande-son.
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Château de La Napoule, avenue Henry-Clews, Mandelieu La Napoule. Jusqu’au 31 octobre.